Cours d’histoire des Lois

Publié le par lieutenantrahmani

UNIVERSITÉ de l’IGNORANCE

Cours d’histoire des Lois

 

 

27 novembre 2011

N°4

 

Trois Monde n° 70 2 JAN-FÉV. 1997

POLITIQUE, ÉCONOMIE, SOCIÉTÉ, LOIS

DES NOTIONS ANCIENNES À NOTRE PRÉSENT

 

La politique - Livre I

 

Aristote '(384-322 av. J.-C.), précepteur d'Alexandre le Grand, fondateur de l'école péripatéticienne (en marchant, d'où femme galante qui se promène sur le trottoir), a une conscience aiguë des transformations sociales de son époque.

 

Au chapitre VIII, il décrit la constitution d'une couche de nouveaux riches. Son débat se situait plus sur le plan éthique qu'économique ou politique. En fait il posait la question de l'attitude que le philosophe devait avoir face aux biens matériels. D'où les notions de liberté et de libération posées à l'individu et aux communautés. II en ressort que la condition importante du bonheur est l'autarcie: se gouverner soi-même, d'où la non dépendance, tant au niveau des individus que des communautés humaines.

 

Cet idéal fantasmatique grec demeure un rêve pour l’indépendance de l'individu par rapport au groupe et de même pour « la polis » (ville). En effet, l'indépendance pour la cité ne peut relever que du désir ou d'un mythe, parce que la cité a besoin d'approvisionnements extérieurs en vivres et en hommes (des esclaves), car toute société esclavagiste repose sur un monde extérieur à elle, d'où elle prélève sa forme de travail. C'est ce qu'on appelle l'impérialisme athénien ou l'hégémonie spartiate.

 

Nous, Occident du 20ème siècle, exploitons les travailleurs nationaux et les immigrés.

 

A partir de cette notion d'autarcie sont apparues les divergences sur les moyens pour se libérer de la tyrannie du besoin.

 

Diogène le cynique était pour la suppression des besoins. L'école des cyniques, reconnaissant que la nature sociale est historiquement déterminée par nos besoins, préconisait en conséquence l'abandon de la culture par un retour à la nature. D'où leur position en faveur de l'anthropophagie et de l'inceste.

 

Aristote n'était pas de cet avis. Pour se libérer des contraintes matérielles, il fallait s'en décharger sur d'autres. Dans son esprit le luxe et le dénuement sont des entraves à la vie vraiment humaine : celle du citoyen libre qui s'adonne à la gymnastique, la politique et la philosophie. D'où le recours au travail servile auquel par justice on ne doit demander que ce qu'il faut lui demander, la juste satisfaction des besoins du citoyen qui lui laisse la libre disposition, de son temps. On pourrait assimiler ce désir à celui de notre époque qui prône la nouvelle civilisation des loisirs: farnienter, faire du tourisme, du sport, de la télé...

 

Les cyniques, pas plus qu'Aristote, ne virent foule accepter ces valeurs. Beaucoup s'efforçaient plutôt d'augmenter leur richesse par tous les moyens. Ce qui est le cas actuel de notre société, trustée, malgré 23 siècles passés. Des financiers véreux qui dictent leurs lois d'économie perverse, des PDG aux salaires, mensuels de plus d'un million avec en sus, frais de représentations, voyages, voiture, chauffeur, loyers, charges payés.

 

Ainsi, l'acquisition des biens matériels qui devait être pour Aristote un moyen de mener la vie politique et philosophique du véritable homme libre, devint pour le spéculateur une fin en soi.

 

Le portrait de l'homme chrématistique (1) par Aristote à plus d'un trait commun avec celui dit capitaliste de Marx: le seul usage qu'il fasse de ses richesses, c'est de leur faire produire des richesses.

 

Aristote ne condamne pas catégoriquement les vices du spéculateur, ni ses pratiques, notamment l'exploitation de plus en plus féroce qu'il est obligé d'exercer sur ceux qui travaillent pour lui, s'il veut augmenter sa fortune le plus possible.

 

Notre chômage est une des formes modernes de cette exploitation. Les machines remplaçant l'homme, il n'est plus qu'un consommateur des produits de consommation. Son obligation à consommer enrichit les exploiteurs-spéculateurs.

 

La désapprobation d'Aristote se porte à l'endroit de la spéculation. Il dénonce l'erreur préjudiciable à ceux qui la commettent. En prenant le moyen de l'acquisition des biens, pour une fin, le spéculateur manque le but pour lequel il devait vivre : son épanouissement dans une vie pleinement humaine.

 

II rejoint ainsi Socrate pour qui le méchant se faisait d'abord tort à lui-même et devait être considéré comme un malade qu'il fallait soigner.

 

Si dans le livre I, Aristote ne se préoccupe pas des répercussions politiques du surgissement de cette couche sociale de nouveaux riches et notamment de la corruption des règles de fonctionnement démocratique de la cité, l'aspect de ces choses ne lui a pas échappé; il les commentera dans son traité de politique réaliste que constituent les livres IV à VI.

 

La décadence de la polis- cité grecque - était la conséquence de la corruption interne de la démocratie, dont Aristote fut le témoin sans en prendre réellement conscience. Cet état d'inconscience renforce les propos que, des siècles plus tard, Friedrich Hegel (1770-1831) tiendra sur la philosophie qui vient toujours trop tard. En tant que pensée du monde, elle apparaît seulement lorsque la réalité a accompli et terminé son processus de formation... ce n'est qu'au début du crépuscule que la chouette de Minerve (l'Athéna grecque) prend son vol.

 

On voit que les époques se différencient par leur date et non en leur mentalité.

 

Sur le sujet de la corruption du gouvernement et de la servitude du peuple, Rousseau, dans son discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes est d'une parfaite loyauté avec nos institutions actuelles. Il énonce que le gouvernement n'est qu'un organe subordonné au pouvoir souverain, que sa fonction est d'appliquer les lois, non de s'y substituer. En droit, le gouvernement reste une créature soumise au peuple, son souverain. Avec le temps, le rapport de subordination s'est inversé.

 

Le contrat social, peuple souverain et gouvernement subordonné, rompu, violé en toute illégalité, démontre le degré de corruption de l'autorité politique sous trois aspects:

 

1. L’exercice du pouvoir devient l'enjeu d'un affrontement de prestige soumis à l'amour-propre.

 

2. L’exécutif impose de plus en plus sa suprématie sur le législatif. Le gouvernement prend la position de souverain, et la loi qui doit originellement exprimer l'unité populaire cède à l'arbitraire du Prince.

 

3. Devant les luttes d'ambition, la chasse aux privilèges, le corps social se dissout. Ce qui assurait le lien communautaire et fondait la légitimité du pouvoir politique, le pacte social, n'est plus qu'un souvenir archivé.

 

La loi

 

Conformément au pacte social, la loi recueille les conclusions de délibérations publiques qui incarnent l'unité du peuple et de l'État. Illusion ! Les dissensions font peser sur la loi une suspicion qui porte atteinte à son autorité. Le peuple ne voit plus dans la loi l'expression de sa volonté.

 

Chez les peuples où la trop grande distance entre riches et pauvres interdit l'exercice communautaire des charges gouvernementales (démocratie), cette charge est confiée à une minorité de personnalités éminentes (aristocratie) ou à la plus prestigieuse d'entre elles (monarchie). La désignation des magistrats s'effectue d'abord par voie élective, mais la fréquence des élections et la pression des ambitions suscitent tant de conflits et de déchirements que le peuple, lassé, finit par accepter le principe de la transmission héréditaire du pouvoir. Le peuple a définitivement perdu tout contrôle sur les magistrats et le gouvernement s'empare de la souveraineté dont il n'était que l'agent d'exécution ; le chef se change en maître.

 

« Le magistrat ne saurait usurper un pouvoir illégitime sans se faire des créatures auxquelles il est forcé d'en céder quelque partie » (p. 130). C'est en effet l'ambition du Prince qui l'incite à usurper le pouvoir. C'est l'ambition des courtisans avides de privilèges qui conforte cette usurpation.

 

« […] la domination leur devient plus chère que l'indépendance, et [...] ils consentent à porter les fers pour en pouvoir donner à leur tour » (p. 130). Véritable vecteur d'un amour-propre qui investit désormais les signes du pouvoir, les courtisans propagent cette fureur de se distinguer depuis le sommet jusqu'à la base de la société. Avec une triple conséquence ; le sujet s'habitue à choyer sa propre servitude, le lien social achève de se briser, enfin la loi fait place aux caprices du prince.

 

« C'est ici le dernier terme de l'inégalité, et le point extrême qui ferme le cercle et touche au point d'où nous sommes partis. C'est ici que tous les particuliers redeviennent égaux parce qu'ils ne sont rien... » (p. 133). Issue de la volonté des hommes, destinée à préserver l'ordre et la liberté, la société finit dans les convulsions et dans la servitude généralisée. L'histoire, née de la rupture accidentelle de l'état de nature, reconstitue donc en son terme ultime un état de nature en négatif. A l'aube des temps, la nature, en mère attentive, veillait sur le sauvage en respectant sa liberté. Aujourd'hui, l'ordre social, fruit de l'ingéniosité des hommes, se retourne contre ses créateurs, et les soumet à son implacable destin. Le sauvage ignorait la justice, car il était incapable de faire le mal. Le droit a généré l'injustice et la servitude. L'homme était solitaire par indépendance, sa dépendance d'aujourd'hui le rétracte sur lui-même et brise les derniers liens sociaux.

 

Enfin, le sauvage était tout, parce qu'il existait en lui- même, le civilisé n'est plus rien depuis qu'il vit dans l'opinion des autres.

 

Le ciment social réside dans l'habitude et la volonté de vivre ensemble. Ce sont des mœurs communes et non le droit qui harmonisent les relations entre les membres du groupe. Sans doute les mœurs et les lois ont-elles les mêmes fonctions; elles rassemblent des individus épars pour former une communauté soudée. Mais leur statut est fondamentalement différent. Les mœurs et les coutumes régulent les comportements sans recourir à la contrainte. Leur efficacité est d'autant plus grande que pour l'essentiel, elles n'affleurent même pas à la conscience; elles sont vécues et non concertées. Elles respectent la spontanéité des relations qui restent placées sous le signe de l'immédiateté. Ce sont des manières d'être collectives bien plus que des règles.

 

Les lois juridiques sont à la fois plus abstraites et plus lointaines. D'un côté, elles doivent leur existence à une convention, c'est-à-dire un accord qui met en œuvre la réflexion collective, leur fondement est la pensée et non l'existence. D'un autre côté, le soin de les appliquer est dévolu à l'État qui joue le rôle de médiateur entre les membres de la société. Les mœurs unissent les hommes, les lois les empêchent de s'entre-déchirer. Aussi longtemps que le principe de liaison sociale (l'amour et la pitié) l'emporte sur le principe de « déliaison » (l'amour-propre), les mœurs communes tiennent lieu de loi. Lorsque le poison de l'amour-propre commence à se répandre, déchirant le tissu social, l'institution de lois, garanties par un État policé, constitue l'ultime parade. On passe alors de la communauté primitive à la société civile (p. 50).

 

 

 

 

Montaigne et les lois

 

Le magistrat Montaigne a une connaissance précise du droit, sujet aux fluctuations selon les époques et les pays. « Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au-delà » (II, 12).

 

Ce n'est pas la raison qui fonde la loi, mais la décision arbitraire d'un peuple ou d'un prince (III, 12), c'est-à- dire la faiblesse et la vanité des hommes (III, 12).

 

A l'égard des lois, Montaigne formule trois reproches essentiels:

 

Il critique d'abord le droit romain qui prévalait à l'époque dans le Sud de la France, alors qu'existait un droit coutumier dans le Nord, fondé sur un consensus. Il critique la forme du droit romain qui demande de passer par un spécialiste; le peuple ne peut ni comprendre, ni respecter ces lois écrites en latin. De plus ce langage prête à contestation et le droit est un fouillis d'interprétations contradictoires Montaigne conteste le contenu, condamne encore la profusion des lois : elles cherchent, en vain, à correspondre à « l'infinie diversité des actions humaines » (III, 13). Mais elles ne pourront jamais la rattraper.

           

Il reproche aux procédures leur coût et le fait que « la justice soit refusée à qui n’a pas de quoi la payer ». A la nécessité des lois, Montaigne préfère les coutumes, parce qu'au lieu d'être promulguées par autorité, elles sont déduites de pratiques et d'usages reconnus par une collectivité. De même, à une loi nouvelle il préfère une loi ancienne qui s'est adaptée au mode de vie des hommes : « Les lois prennent leur autorité de la possession et de l'usage [...J elles grossissent et s'ennoblissent en roulant »

 

C'est pourquoi Montaigne privilégie la souplesse dans l'adaptation de la loi, l'étude de chaque cas particulier. Au lieu de créer de nouvelles lois qui accroissent la confusion, on devrait laisser plus de liberté aux juges pour interpréter les lois et les adapter à des situations nouvelles.

 

Citations à interpréter

 

« Les lois sont des toiles d'araignée à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites ». Honoré de Balzac, la Maison Nucingen.

 

« La loi juste n'est point celle qui a son effet sur tous, mais celle qui est faite pour tous ». Joseph de Maistre.

 

 « Les lois se maintiennent en crédit non parce qu'elles sont justes mais parce qu’elles sont lois. » Montaigne, Essais.

 

« Les lois sont toujours utiles à ceux qui possèdent et nuisibles à ceux qui n’ont rien. » J.J Rousseau, Contrat social.

 

« Les lois civiles sont favorables aux fourbes, nécessaires aux méchants, humiliantes pour les sages. » Louis-Claude de Saint Martin.

 

Aux lecteurs de tirer leurs conclusions en fonction de l’actualité que nous avons voulu cerner à travers une philosophie historique et politique.

 

Abdelkader RAHMANI

 

(1) « Chrématistique : du grec Khrêma et Atos, richesse. Qui a rapport à la production de richesses. n.f : partie de l’économie politique qui s’occupe de la production des richesses.

 

 

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